Vos collaborateurs montrent peu d’enthousiasme à suivre les formations que vous leur proposez ? Les prestations externes auxquelles vous recourez ne correspondent pas à vos attentes ?
Peut-être avez-vous besoin d’outils supplémentaires pour rendre vos actions de formation vraiment attractives et adaptées aux enjeux de l’entreprise et de ses salariés. L’ingénierie pédagogique fait partie des méthodes dont vous pouvez vous inspirer.
À l’exercice de l’association d’idées, “ingénierie » et “pédagogie” ne vont pas forcément de pair. Pourtant, l’ingénierie pédagogique ne tient en rien de l’oxymore ni de l’incantation ésotérique. Domaine d’expertise à part entière, cette approche s’avère très utile, voire indispensable, à l’élaboration de formations adéquates.
Si l’on décompose, de quoi s’agit-il ? Dans les années 70, le Commissariat général du Plan en France définit l’ingénierie comme “l’ensemble des activités, essentiellement intellectuelles, ayant pour objet d’optimiser l’investissement, quelle que soit sa nature, dans ses choix, dans ses processus techniques de réalisation et dans sa gestion”, indiquent Daniel Peraya et Claire Peltier, dans leur article article consacré à l’ingénierie pédagogique. La pédagogie, elle, correspond à l’art d’enseigner.
Associés, ces deux champs d’action constituent une démarche rationnelle, sinon scientifique, qui vise à « traduire les besoins en compétences en des parcours d’apprentissage », résume Fabien Malassingne, actuellement manager d’offre pédagogique au sein du groupe d’enseignement supérieur Omnes éducation. Selon lui, la conception de formations relève totalement de l’ingénierie « car on crée un produit sous contraintes : les compétences à acquérir, le public à cibler, le temps, le budget… ».
Selon cette approche, le responsable formation ou ingénieur pédagogique s’interroge sur le “comment faire”. « [Il] sait saisir les réalités des différents publics afin de construire des solutions pertinentes, même quand le besoin est exprimé de manière imprécise. La première question qu’il est censé poser à un collaborateur qui le sollicite, c’est : “Que dois-tu faire sur ton poste de travail et que tu ne peux pas faire aujourd’hui ?”
L’ingénierie pédagogique s’inscrit dans une logique de résultat. A la fin de chaque séance ou d’une session, l’apprenant doit avoir acquis certaines aptitudes ou savoir-faire. Chaque activité du parcours d’apprentissage est pensée en fonction des moyens qu’elle mobilise pour y parvenir. Tout le “système” est articulé selon cette dialectique entre l’objectif de résultat, l’objectif pédagogique qui en découle et les outils utilisés en conséquence.
Les avantages à maîtriser l’ingénierie pédagogique
D’après le spécialiste, les bénéfices à s’inspirer des méthodes d’ingénierie pédagogique sont multiples.
Le premier — et peut-être le plus important — est de doter le responsable formation de la capacité à évaluer, en amont, la qualité d’une proposition pédagogique. « Si l’on veut pousser la logique de qualité de la formation, particulièrement mise en avant actuellement, c’est un critère impactant. C’est également, déjà, un élément de retour sur investissement et un bon moyen de ne pas jeter l’argent par les fenêtres. »
Deuxième avantage à développer son expertise : la possibilité pour le référent de se positionner en interlocuteur éclairé, notamment dans le cas où des modules spécifiques sont élaborés en interne. « Grâce à la réduction des coûts et à la massification des outils, la formation en interne [jouit de] vents favorables. Le développement de “centres de formation internes”, et donc le travail d’ingénieur pédagogique, échoit très souvent au responsable formation », estime Fabien Malassingne. Autant, donc, en maîtriser les fondements.
Enfin, troisième point important, le responsable formation peut accroître sa légitimité. « Dans certaines entreprises, les équipes de formation peuvent être perçues comme restant dans une tour d’ivoire », observe-t-il encore. L’ingénierie pédagogique, au contraire, se veut une approche pragmatique, de terrain. En partant à la rencontre de ses collaborateurs, en les écoutant pour développer des programmes qui répondent réellement à leurs problématiques, le responsable formation envoie un message positif pouvant l’aider à susciter leur confiance.
Et de préciser : « L’ingénierie pédagogique, obligatoire dans le cas de [l’apprentissage] digital, ne s’y limite pas. Elle a aussi son intérêt en présentiel. Même si la possibilité d’improviser fait qu’on en ressent moins le besoin, elle contribue tout de même à la qualité de la formation ».
Savoir utiliser l’ingénierie pédagogique au bon moment
En dépit de l’efficacité dont attestent ses adeptes, une démarche d’ingénierie pédagogique demande quelques pré-requis avant d’être utilisée.
Il faut avoir du temps car analyser et circonscrire le besoin, en vue de créer un contenu cohérent, en demande. Pour cette raison, et parce qu’ils ont besoin d’assurer une offre conséquente, certains responsables de formation optent pour une logique dite de “catalogue”. « Et sur des besoins maîtrisés et récurrents, cela peut suffire », assure Fabien Malassingne.
La formation pour laquelle est mise en œuvre une approche d’ingénierie doit aussi représenter un enjeu pour le responsable formation. Ce dernier doit identifier « quelles actions de développement de compétences sont suffisamment pertinentes » pour nécessiter un tel dispositif.
Autre point de vigilance : le responsable formation/ingénieur pédagogique doit garder à l’esprit qu’il n’est qu’un maillon du dispositif de formation. Un autre, tout aussi important, est la personne qui la dispensera. « On peut avoir une très belle fiche produit, mais il faut aussi s’assurer que les engagements pédagogiques seront respectés au moment de l’animation. C’est une logique systémique : qualification de la demande, ingénierie, animation et évaluation », souligne-t-il.
Ingénieries pédagogique et de formation : la complémentarité
Lorsque l’on évoque l’ingénierie pédagogique, difficile d’ignorer l’ingénierie de formation. Ce sont deux logiques différentes, impliquant des métiers différents, mais « totalement complémentaires, selon le manager d’offre pédagogique. Avec l’ingénierie de formation, on crée le dispositif : par exemple, une voie d’accès, des modalités de validation d’évaluations ou encore un parcours de certification. L’ingénierie de formation définit la contrainte ».
Selon les écrits de Thierry Ardouin, auteur d’un ouvrage sur le sujet, l’ingénierie de formation intervient à trois niveaux. Le niveau stratégique, auquel est définie la politique globale de formation d’une entreprise. Celui des systèmes d’information, où est validée la dimension opérationnelle de l’action de formation (cohérence entre les modules, sélection des prestataires le cas échéant…). Et, pour finir, la strate de l’ingénierie pédagogique, plus axée sur le contenu de la formation. C’est à cette étape que sont choisis les dispositifs et dessinés ou scénarisés, les parcours d’apprentissage.
S’approprier la démarche par la mise en pratique
▶️ Les bases de l’ingénierie pédagogique
Fabien Malassingne constate que la compétence en ingénierie pédagogique, généralement abordée à des « degrés variables » dans les cursus consacrés à la fonction formation, reste « encore inégalement acquise car ce n’est pas une approche qu’un responsable peut se permettre d’utiliser sur toutes les formations qu’il met en place ».
De nombreux responsables connaissent toutefois la méthode, mais pêcheraient à l’appliquer par manque de temps et d’outils.
« Je trouve cependant qu’il commence à y avoir de la demande, notamment pour se faire accompagner. Par exemple, un responsable formation [est confronté à] un ensemble de contraintes pour une formation en particulier et voudrait, pour y répondre, mettre en place une démarche d’ingénierie pédagogique. C’est une façon pour lui de monter en compétence en assistant au déroulement du processus. On est dans la logique d’apprendre en faisant », décrit le professionnel de la formation.
Une discipline en constante évolution
Méthode de travail “tout terrain”, l’ingénierie pédagogique est en pleine évolution grâce au boom des neurosciences. À l’instar de l’attention portée à l’impact des biais cognitifs en situation d’apprentissage, d’autres pistes et modes de fonctionnement émergent, augurant de multiples enrichissements de la discipline.
Dans l’air du temps également parce qu’elle permet une plus grande individualisation des parcours d’apprentissage, notion centrale des actions de formation qu’elle permet de concevoir. « Ça n’est pas une pratique monolithique ! », affirme Fabien Malassingne. Une fois que le dispositif, le cadre, est posé, il existe de nombreux chemins pour atteindre l’objectif fixé, c’est ce que permet de définir l’ingénierie pédagogique. La tendance actuelle est de proposer des formations où certains modules sont dispensés en commun et d’autres en plus petit groupe, voire individuellement, grâce à l’e-learning. « On n’est pas dans du sur-mesure, mais on s’en approche. »
Alors, à la question “faut-il développer son expertise en ingénierie pédagogique”, la réponse semble être, à en croire le professionnel, un grand oui. Il sera toujours temps, une fois cette nouvelle corde accrochée à son arc, de choisir ou non de l’utiliser en fonction des situations. Mais, dans tous les cas, « l’ingénierie pédagogique va dans le sens de l’efficacité de la formation. »
